Échappée belle
Je reviens d’un lieu merveilleux. Petit écrin qui fleure bon le crottin. Echappée belle du vendredi soir.
Je m’y gare, décharge ma voiture, et les bras encombrés, je descends vers la ligne de boxes un peu plus isolés en contrebas de la ferme, juste à la lisière de la forêt domaniale. J’évite au passage quelques flaques d’eau creusées par les roues de tracteur dans lesquelles pataugent plusieurs canards, des colverts, qui me regardent passer, imperturbables.
Je dépose mes affaires le long du mur. Je respire, une petite brise venant de la forêt toute proche me chatouille le nez, il fait chaud, ça sent l’herbe séchée, mélange de paille et de foin d’été.
Il me regarde déjà au travers des barreaux de la partie haute de la porte, l’œil curieux. Je tire les verrous et ouvre. Je prends une grande inspiration et laisse son odeur m’imprégner et déjà j’oublie, tout. Il ne reste que lui et moi.
Je pose ma main sur l’étoile blanche de son front et descends doucement le long du chanfrein légèrement bombé, c’est doux. Je m’arrête aux naseaux, il me respire également, me sent, je sens son souffle chaud entre mes doigts. Bonjour. Nos regards se croisent, sereins, déjà complices. Ce soir nous ne ferons qu’un. Du moins nous essaierons, nous rechercherons l’harmonie, et si nous sommes ambitieux la grâce et l’élégance.
Apres vérification des pieds, un petit coup de brosse. La robe baie est lisse et brillante comme de la soie et le léger rayon de soleil qui passe par la porte renforce le reflet acajou du poil et le noir brillant du crin. Mors à la bouche, selle sur le dos. Nous sommes prêts.
Pas de carrière ou de manège ce soir, le temps est idéal pour une ballade en forêt. Nous démarrons tranquilles, au pas, le temps de s’apprivoiser, de se faire confiance, de se ressentir. Tout est calme, personne dans les chemins, la forêt est à nous, enfin pas totalement, peut-être aurons-nous la chance de croiser quelques chevreuils ou biches, c’est l’heure qu’ils préfèrent pour sortir.
Le paysage est magnifique, je pourrais rester des heures à le contempler, comme une toîle de maître, tout est figé et vivant à la fois. Le chemin est bordé de chênes et de fougères, ligne de fuite vers un horizon bleu et or dans le soleil couchant. Un nuage, seul, s’étire, comme un voile léger rose-orangé, draperie céleste.
Je m’évade mais tu me rappelles à l’ordre. L’appel de la nature, tu le ressens également et déjà tu trépignes et ton dos se tend, réclamant un peu de liberté, alors nous changeons d’allure. Petit trot, soyons légers. Je ressens ta bouche au bout de mes doigts, les rênes, mon poids et mon équilibre comme relais entre nos deux esprits. Mais cela ne te suffit pas, et à moi non plus.
Nous voilà au galop, la terre tremble, ce qui résonne en toi résonne en moi, je ressens chaque vibration quand tes pieds touchent le sol et dans le bref temps de suspension, nous volons, légers comme un souffle. Vent de liberté. Nous ne faisons qu’un, portés par ta force et guidés par mon regard. Seuls. Le paysage défile, et le monde autour n’existe plus, nous sommes libres, éclairés sur notre chemin par les raies d’or du soleil entre les branches, moment de grâce, gout d’éternité. Je te laisse filer, essayant sur ton dos de te gêner le moins possible pour que toi aussi tu te sentes libre et léger. Mais nous voilà déjà au bout du chemin et ralentissons, haletants tous deux et retrouvant notre calme. Retour plus tranquille au pas. Comme cela fait du bien au corps et à l’esprit. Je te caresse, reconnaissante de ta gentillesse, heureuse d’avoir partagé ce moment avec toi.
Je te libère de ton mors, de ta selle. La paille est fraiche et déjà tu te roules, toujours un œil sur moi, car tu sais que quelques friandises t’attendent. Fin de l’échappée belle.
Merci mon ami et à la semaine prochaine.
Merci à Idéal pour sa complicité généreuse et merci à Ph. et A. guides et propriétaires du centre equestre pour leur accueil et leur gentillesse.